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Émilienne Naert

Administratif
Sciences humaines

1920-2001

paru le 12/11/2019 - Mise à jour le 11/03/2022 (15:13)

Émilienne Valentine Naert est née le 25 octobre 1920 à Tourcoing. Elle était la fille d’Émile Naert, commerçant, et de Valentine Croquette. Elle a passé son brevet supérieur en 1939 puis son baccalauréat de philosophie en 1941.  Durant une partie de la guerre, elle demeura à Armentières, probablement dans la famille de sa mère, où elle aurait participé à des activités de résistance en venant en aide à des parachutistes anglais. Mais Émilienne Naert est restée très discrète sur cette partie de sa vie. Une anecdote a pourtant survécu révélant son sang-froid : lors d’un interrogatoire par les Allemands, elle se serait fait passer pour simple d’esprit, comme sa sœur, ce qui lui aurait permis d’être relâchée. L’hébergement, le soutien et la non-dénonciation des militaires alliés étaient des faits punis de la peine de mort. Nul doute que son expérience éprouvante de la guerre ait nourri ses réflexions et son travail dans les années suivantes :

 

 Si elle trouvait chez Leibniz une manière de concevoir rationnellement le monde comme création de Dieu, de poser la question de l’existence du mal et déterminer la tâche et la responsabilité de l’homme au sein de la création, sa foi chrétienne discrètement avouée la conduisait plus profondément du côté de Pascal et Kierkegaard. 1

Études supérieures et début de carrière

Elle a poursuivi ses études à la Faculté libre de Lille jusqu’à la fin de la guerre afin d’obtenir son certificat d’études supérieures avant de rejoindre la Faculté des Lettres de Lille. Après un certificat d’études supérieures en Histoire de la Philosophie (1945) puis une licence ès Lettres d’enseignement (1949), un DES de Philosophie en 1950 sur « Foi et raison chez Leibniz », Émilienne Naert a obtenu son doctorat d’État à la Faculté des Lettres de Lille sous la direction d’Éric Weil avec mention très honorable en 1959. Celui-ci portait sur « Leibniz et la querelle du pur Amour. Mémoire et conscience de soi selon Leibniz ». De son doctorat, elle a gardé une relation amicale avec Éric Weil qui allait marquer son avenir universitaire.

Sa carrière d’enseignante a commencé comme professeure de philosophie à l’École diocésaine d’institutrices de Loos jusqu’en 1959 avant de devenir chargée d’enseignement à la Faculté catholique de Lille (1959-1965). Elle a fait un court passage à Paris à la Sorbonne en tant que « maître-assistant » (1965-1966). Bien plus tard, elle relatera ses débuts sur les conférences magistrales de propédeutique par ces mots :

 Je ne sais qui avait eu l’idée mirifique de prévoir, pour ces cours, une entrée musicale. Je me rendais donc, chaque jeudi matin, à 10h45, dans un petit atelier pour y choisir le morceau de musique qui accompagnerait ma descente aux enfers. Puis, précédée d’un appariteur, le micro-cravate bien ajusté, je descendais la série interminable de gradins de l’amphi. Je n’avais qu’une crainte : celle de rater une marche mais cette crainte produisait un effet bénéfique : elle dissipait l’angoisse d’avoir à prendre la parole devant un auditoire trop nombreux. »

Après cela, elle a occupé un poste au Collège littéraire Universitaire d’Amiens en tant que maîtresse de conférences puis professeure. L’occasion se présente alors de retrouver Lille où un poste de professeur à la Faculté des Lettres est vacant en 1968. La chaire de Philosophie est alors créée pour elle en 1969. Cette chaire lui permet de poser ses valises. Les événements de 1968 bouleversent le monde universitaire.

Un engagement au service de l’université de Lille

Émilienne Naert s’est investie dans la création de la nouvelle université Lille 3 en participant à l’assemblée constitutive et notamment dans la création de l’Unité d’Enseignement et de Recherche (U.E.R) de philosophie à la tête de laquelle elle est élue par ses collègues dès la création de l’université (1970-1977) et devient ainsi la première femme de Lille 3 à diriger une U.E.R. Elle reprend la direction de l’U.E.R  en 1985 jusqu’à sa retraite en 1989. Ses collègues soulignent « sa disponibilité et sa gentillesse envers les étudiants, les enseignants et le personnel administratif ».

Selon sa collègue Mme Claude Roubinet : « [Les étudiants] reconnaissaient l’attention qu’elle savait leur porter de façon à la fois attentive et efficace. Directrice de l’U.E.R elle fût un instrument de paix, réglant les conflits possibles (emplois du temps, affectation des cours) avec fermeté et gentillesse. Je me rappelle avec émotion sa disponibilité pour accueillir les soucis des uns et des autres, sa présence amicale… et aussi sa silhouette élégante, toujours soignée qui éclairait nos couloirs… »

Son engagement a dépassé le cadre de sa composante puisqu’elle a été élue membre du conseil de l’université, vice-présidente de l’université à la Commission des Études et de la Vie Universitaire de 1987 à 1990 et au Conseil d’Administration sous les présidences de Jean Celeyrette puis Alain Lottin. Elle a participé aux différentes commissions de l’université, au comité consultatif des universités au Comité national du CNRS (45e section) et au jury de l’agrégation de Philosophie en 1970 et 1980 puis à nouveau en 1983-1986.  

Sa collègue Claude Roubinet dit d’elle : « Il me semble qu’elle fut la première femme dans notre université à cumuler de front ses nombreuses responsabilités jusqu’ici réservées aux collègues masculins : conseil d’université, comité consultatif, jury d’agrégation…. alliant toujours et en tous lieux autorité et bienveillance. Je suis heureuse de penser que le parcours de l’amie qu’elle fut pour mon mari et pour moi-même illustre l’importance des femmes dans l’enseignement, la recherche et aussi la gestion des universités. »

Émilienne Naert a pris la direction de l’IPES (Institut de préparation aux enseignements du second degré) à partir du 23 novembre 1970.

La reconnaissance d’une carrière exemplaire

Élève d’Éric Weil, elle a cofondé et dirigé le centre qui lui est dédié de 1981 à 1989 ayant par ailleurs été exécutrice testamentaire, désignée par Anne Weil et Catherine Mendelsohn. Ce centre a permis un élan fort et durable d’intérêt à la recherche sur Éric Weil en France. Aujourd’hui l’Institut Éric Weil reste son héritage le plus visible au sein de l’université de Lille.

 Émilienne Naert était spécialiste de Leibniz mais s’intéressait également à la philosophie anglaise classique. Elle a rédigé plusieurs ouvrages « Mémoire et conscience de soi selon Leibniz » en 1961, « La pensée politique de Leibniz en 1984 » et « Locke ou la raisonnabilité » en 1973 ainsi que de nombreux articles.

Elle a été nommée « commandeur des Palmes académiques » en 1985 et « chevalier de la Légion d’honneur » le 20 juin 1990. A cette occasion, Bertrand Saint-Sernin, ancien professeur de Lille 3 et ancien recteur des académies de Dijon et de Nancy-Metz, prononça son éloge. La légion d’honneur qui lui fut remise était celle d’Éric Weil selon la volonté de la famille du défunt. A cette occasion, Émilienne Naert a tenu à souligner dans son discours de remerciements ce que la remise de cette décoration signifiait pour elle en tant que femme :

 C’est enfin la femme qui est à l’honneur. Il n’est pas fréquent que les femmes soient admises dans l’ordre créé par Bonaparte le 29 floréal de l’an X. Il faut bien reconnaître qu’elles ont rarement la stature et la carrure du légionnaire. Je suis heureuse qu’en moi, on honore toutes les femmes qui remplissent dans l’université des fonctions diverses. Elles savent aussi bien et parfois, peut-être, mieux que les hommes, que bien accomplir sa tâche, c’est, comme le disait Péguy à propos de sa mère, l’humble rempailleuse de chaises : un métier, un honneur, le principe même des cathédrales. »

Émilienne Naert prend sa retraite en 1989 et est nommée professeure émérite de l’université. Elle décède à Lille le 28 février 2001. Son ancien collègue et ami, Gilbert Kirscher a dit d’elle lors de son éloge funèbre:

 Elle était attentive à autrui, aux soucis des uns et des autres, à leurs joies comme à leurs peines, discrètement, sans ostentation. Elle était foncièrement bienveillante. Elle était désintéressée et modeste, d'une modestie souriante et malicieuse. Elle était gaie, peut-être parce qu'elle faisait très bien la différence entre ce qui importe et ce qui n'importe pas. Elle avait le sens de la beauté de la nature et de la valeur des œuvres de l'art. Elle aimait particulièrement la peinture. Elle donnait le sentiment d'être sereine, d'être parvenue à ce contentement lucide et généreux qu'on appelle sagesse. »

Notice rédigée par Sarah Lagache.

[1]    "In memoriam Émilienne Naert" par G. Kirscher et J. Quillien, Bulletin de la Société française de Philosophie, n°1, 96e année, Janvier-Mars 2002, page 39-40.

Sources

Archives départementales du Nord

Dossier étudiant Faculté des Lettres - 2640W560


Archives de l’Université de Lille

Dossier de personnel enseignant

Procès-verbaux du conseil d’administration Lille 3


Archives de l'Institut Éric Weil

QUILLIEN (J.), notice "NAERT, Émilienne", Le dictionnaire des philosophes, Paris, PUF, 1993, p.2085.

Éloge de Bertrand Saint-Sernin lors de la remise de la légion d’honneur

Discours de remerciements d’Émilienne Naert pour la Légion d’Honneur

Dossier de presse Nord éclair et Voix du nord 1990

Faire-part de décès

Éloge funèbre d’Émilienne Naert par G. Kirscher

L'auteure remercie vivement les personnes suivantes pour leur témoignage et leur aide bienveillante:

MM. Bertrand Saint-Sernin, Gilbert Kirscher, Jean Quillien, Patrice Canivez ainsi que Mme Claude Roubinet.