Aller au contenu
avatar Albertine Eidenshenk

Albertine Eidenschenk-Patin

Administratif
Sciences humaines

1864-1942

paru le 27/10/2021 - Mise à jour le 24/04/2023 (14:33)

Albertine Patin est née le 7 Octobre 1864 à Lieusaint en Seine et Marne. Sa mère, venue de la Sarthe pour trouver du travail, rencontre Victor Patin, un berger de la Brie. Ils se marient vers 1844 et s’installent à Lieusaint (77). Le couple aura huit enfants dont Albertine, septième de la fratrie.

La jeune Albertine est élevée dans la « droiture et l’honnêteté ». Elle perd son père en 1881, elle a 16 ans. Côté éducation, le grenier de la ferme familiale où s’entassaient de nombreux ouvrages, est pour elle une source de connaissance. Une religieuse lui fait aussi la leçon, lui apprenant la géographie et les rois de France. C’est forte de ses connaissances, qu’Albertine, se présente au concours d’entrée à l’école normale d’institutrices de Melun. Le début d’une longue histoire dans les écoles normales qui coïncide avec la perte de sa mère en 1885.

Directrice d’école normale d’institutrices à 29 ans

Après avoir obtenu son brevet élémentaire en 1883 et son brevet supérieur en 1884 l’année suivante, elle est, dans le même temps, institutrice suppléante dans le département de la Seine et Marne (77). Elle se présente alors à l’école normale supérieure de Fontenay aux roses dans les Hauts de Seine (92) en 1886. Elle y rencontre son modèle, Monsieur Felix Pécaut, fondateur de l’école normale supérieure de jeunes filles de Fontenay aux roses et premier directeur de ladite école et ceci pendant seize ans. Elle dira de lui dans un discours prononcé à la Sorbonne le 10 juin 1930 pour le cinquantenaire de la fondation de l’école normale supérieure de Fontenay aux roses : « A Fontenay, en effet, Félix Pécaut s’est révélé un éducateur de grande race, et avec lui nous y avons vécu quelques-unes des années les plus belles et les plus riches de la pédagogie française ».

Albertine Patin quitte l’école normale supérieure sept ans après son entrée, s’ouvre alors pour elle la possibilité d’accéder au grade de Directrice d’école normale. Elle demanda à être affectée à Oran en Algérie et elle y rencontrera son futur mari : Monsieur Eidenschenk, inspecteur académique originaire d’Alsace.

Les noces sont prononcées en 1894, et donnent lieu à deux naissances, Albert en 1895 et Jeanne en 1898.

Après un long congé pour s’occuper de ses enfants, elle est nommée Directrice de l’école normale de Chambéry (Savoye - 73) en 1899. Puis, elle devient Directrice de l’école normale de Saint Brieuc (Côtes d’Armor – 22). Nous avons peu d’informations sur ces périodes mais elle y accumule de l’expérience pour son futur poste à Douai (59).

L’école normale d’institutrice de Douai

C’est en 1905 qu’Albertine Eidenschenk - Patin prend son poste de Directrice à l’école normale d’Institutrices de Douai. Ce sera le poste le plus long de sa carrière, elle y mettra en œuvre toutes ses compétences. C’est sa fille, Madame Jeanne Mauchaussat-Eidenschenk qui parle le mieux de l’ambiance qui y régnait :

« Vous n’imaginez pas combien elle était austère cette école normale de la rue d’Esquerchin. C’était presque un couvent !

On y accédait par une grande avenue, dont la porte sur la rue était aveuglée par des plaques blindées. C’était une intention, il fallait vraiment isoler, cloîtrer ces petites normaliennes.

Après l’avenue, on arrivait à une seconde grille, très belle, qui n’était jamais fermée ; mais l’intention y était quand même. »

Plusieurs autres témoignages font ce même constat d’une école monacale et sévère. Albertine Eidenschenk – Patin va appliquer des mesures pour rendre cette école moins rigide et plus agréable pour les jeunes filles qui y séjourneront.

D’abord, le cadre de vie devient plus propice aux études. Elle fait réaliser des travaux d’agrandissement de l’école et fait également planter des fleurs dans la cour d’honneur. C’est d’ailleurs à cette même période que le jardin botanique de la ville de Douai devient le parc de l’école normale d’institutrices. Madame Larrivière, ancienne normalienne, raconte ce fabuleux moment :

« En 1908, j’entrai à l’école normale. […] Un événement précurseur des transformations à venir se produisit pendant ma première année : le mur entre notre cour de récréation et le « jardin des arbres », s’abattit avec fracas pendant une leçon d’histoire. Le jardin était à nous ! La ville avait fini par consentir à le donner pour agrandir l’école ».

Ces changements s’appliquent aussi à l’intérieur des bâtiments. Albertine Eidenschenk – Patin rend les vitres de l’école transparentes, elles étaient jusque-là recouvertes de chaux. C’est ainsi que les dortoirs s’illuminèrent ; chaque normalienne obtient une demi fenêtre dans sa chambre. De plus, chaque élève, est autorisé à aménager son espace de dortoirs comme elle le désire.

L’une de ses initiatives les plus marquantes, fut de supprimer le chapeau d’uniforme. Pour la Directrice, la discrétion demandée aux normaliennes ne pouvait pas s’accorder avec le port de ce « couvre-chef » qui attirait les regards.

Ensuite, la pédagogie mise en place par Albertine Eidenschenk – Patin est novatrice. Elle a appliqué la méthode de ses pairs de l’école normale supérieure de Fontenay aux roses. Elle a instauré ce qu’elle appelait les « Conférences du matin ». Cela se déroulait en début de journée, les sujets étaient variés. Les normaliennes pouvaient y chanter, ou aborder des sujets divers tels que la littérature, les sciences ou l’émancipation des femmes. Madame Mauchaussat-Eidenschenk rapporte les propos de sa mère de la sorte : « Quelle que soit l’étendue de vos connaissances, de votre compétence pédagogique, vous n’êtes pas une institutrice si vous n’avez pas le souci de la formation morale des enfants qui vous sont confiés ».

C’est avec cet esprit d’éducation morale que Madame Eidenschenk – Patin fut élue puis réélue au Conseil supérieur de l’Instruction Publique à partir de 1909.

C’est également à cette période qu’elle fit paraître le premier volume de ses « lectures de petites filles ». Elle en publiera trois entre 1911 et 1913.

Albertine Eidenschenk–Patin nous donne à comprendre l’intérêt, à ses yeux, de ses ouvrages dans le troisième livre « Les troisièmes lectures des petites filles » à la page 379 :

« En fermant ce livre, fillettes, pour qui je l’ai écrit, je me tourne vers vous et j’essaie de deviner les pensées et les sentiments qu’il a fait naître en vous. […] Mais je ne voudrais pas que ces émotions fussent chez vous passagères et stériles. Autant vaudrait ne point les éprouver. Il faut qu’elles vous portent à agir conformément à ce que vous avez ressenti. Vous ne devez pas laisser s’éteindre en votre cœur un mouvement de pitié sans avoir cherché autour de vous l’occasion de vous montrer bonnes envers quelqu’un, homme ou bête. Vous ne devez laisser s’éteindre en vous un mouvement d’admiration ou d’enthousiasme sans essayer de vous mettre au niveau des choses que vous admirez, en déployant à votre tour un peu d’héroïsme. »

L’héroïsme, Albertine Eideschenk-Patin va devoir en faire preuve lors de la Grande Guerre qui se profile…

Grande Guerre et fin de carrière

En 1914, les hommes de la famille partent à la guerre. Monsieur Eidenschenk demande sa réintégration dans l’armée en tant qu’interprète. Le fils, Albert a 19 ans. Il s’engage et part au front en janvier 1915.

Pendant ce temps, Albertine Eidenschenk – Patin gère les normaliennes de Douai. L’école normale des filles est occupée par l’armée allemande et sert, depuis 1914, d’hôpital de campagne bavarois. Elle réussit, en 1916, à faire passer le Brevet supérieur à un petit groupe de normalienne.  Elle apprend en 1917, la mort de son fils sur le champ de bataille des suites de ses blessures du 22 juin 1916. Voici un extrait de la dernière lettre de son fils : « Souviens-toi que quoique bon soldat, je fus pacifiste et ai souhaité que cette terrible guerre soit la dernière. Unis les efforts à tous ceux qui cherchent à réaliser ce rêve et débarrasser l’humanité de ce fléau » (« Une femme de bien : Mme Eidenschenk - Patin », La Française, 1938)

Fatiguée par l’occupation et l’annonce du décès de son fils, elle quitte Douai pour Dax dans les Landes comme Inspectrice primaire.

En octobre 1918, elle devient Directrice de l’école normale d’institutrices à Toulouse. Elle y reste peu de temps et retrouve son poste à l’école normale d’institutrices de Douai pour Pâques 1919. Cette même année ou Laurent, son mari, décède de la grippe espagnole alors qu’il venait d’être démobilisé.

Elle se retrouve seule avec sa fille dans une école ruinée par la guerre mais elle va mettre toute son énergie pour lui redonner vie et y instaurer des valeurs pour les promotions futures.

Ce travail de reconstruction, elle y prendra part jusqu’à sa retraite en 1926. Ensuite, elle va retourner dans l’Aisne et s’y reposer mais elle ne restera pas inactive très longtemps. Albertine Eidenschenk – Patin veut rendre hommage à son fils et tous ses camarades de combat, elle créé en 1928 : LA LIGUE INTERNATIONALE DES MERES ET DES EDUCATRICES POUR LA PAIX (LIMEP).

Elle s’associe à Mesdames L. Bouniol, Marie Lucas, Mme J. Forsans et Mme M.-J. Prudhommeaux. Parmi ces cinq femmes, trois ont perdu un fils à la guerre. Notre directrice d’école normale en est la première présidente et le projet de cette ligue est clair : « Il faut instruire les Mères et les Éducatrices sur les problèmes internationaux, afin d’éclairer et de fortifier leur volonté de paix, et de leur donner la possibilité de répondre aux objections des adversaires de la réconciliation des peuples ».

Dans l’année qui suit sa création, un réseau de correspondantes recrutées dans le monde enseignant se développe. D’abord en France puis très vite à l’international, en Angleterre, en Belgique et en Allemagne, le bulletin « Les peuples Unis » est distribué. Au début des années 1930, le nombre d’adhérentes est exponentiel : 60000 en 1932, 80000 en 1934.

Jusque dans les statuts de la ligue, on trouve les idées qui poussent Albertine Eidenschenk – Patin à prendre la parole dans de nombreux pays : les adhérentes doivent « lutter contre les causes de la guerre en union avec la Ligue tout entière » ou encore « élever leurs enfants ou leurs élèves dans un esprit de bienveillance et de cordialité envers les étrangers, quels qu’ils soient, et de réprimer en eux les instincts de violence et de brutalité ».

Malgré tous les efforts de la ligue en faveur de la paix et du désarmement des peuples, la fatalité la rattrape et la deuxième guerre mondiale éclate. Albertine Eidenschenk – Patin va alors stopper ses activités et s’occuper de sa famille. Elle meurt en 1942. Elle repose auprès de son fils au cimetière de Berny-Rivière dans l’Aisne.

 

De son vivant, Albertine Eidenschenk – Patin et ses valeurs étaient appréciées et mis à l’honneur. Après sa mort, cette admiration se perpétue avec la création, en 1947, de la fondation Eidenschenk. Elle permet aux normaliennes de profiter de séjours culturels ou de colonies de vacances. Il faut attendre 1993, quelques temps après la disparition des écoles normales au profit des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres, pour que la fondation devienne « l’Association à la mémoire de Madame Eidenschenk et des écoles normales ».

Entre temps, le 5 décembre 1986, a lieu l’inauguration de la salle d’exposition « Espace Eidenschenk », au sein de l’école normale d’Institutrices de Douai. Madame Brisville, alors présidente de l’Amicale des anciennes élèves, commence son discours par cet hommage : « Je vais donc évoquer ce que fut cette femme remarquable qui a marqué de sa forte personnalité, 21 promotions de l’école normale d’Institutrices de Douai. »

Cette femme au parcours exceptionnel a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire des normaliennes. Officier de la légion d’honneur, membre du conseil supérieur de l’Instruction civique, fondatrice de la ligue internationale des mères et des éducatrices pour la paix, mais au-delà de ses distinctions ou de ses postes élogieux, c’est le parcours singulier et novateur pour une femme de son époque que nous devons saluer. Une femme qui a mis la Femme au cœur de ses actions.

Notice rédigée par Alexis Ballart

Références bibliographiques

Ressources documentaires concernant la biographie d'Albertine Eidenschenk-Patin

DOUCET Marie-Michèle, Prise de parole au féminin : la paix et les relations internationales dans les revendications du mouvement de femmes pour la paix en France (1919-1934), Thèse – Université de Montréal, Mai 2015 https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/13597/Doucet_Marie-Mich%C3%A8le_2015_Th%C3%A8se.pdf?sequence=8&isAllowed=y>

Publications d'Albertine Eidenschenk-Patin

DREVET Camille, Sur les routes humaines, préface de Madame Eidenschenk-Patin (daté de 1936), Paris, S.D

EIDENSCHENK-PATIN Albertine, Les troisièmes lectures des petites filles, Paris, Ch. Delagrave, 1913

EIDENSCHENK-PATIN Albertine, Les Deuxièmes lectures des petites filles, Paris, Ch. Delagrave, 1912

EIDENSCHENK-PATIN Albertine, Les premières lectures des petites filles, Paris, Ch. Delagrave, 1911

EIDENSCHENK-PATIN Albertine, Variétés morales et pédagogiques. Petits et grands secrets de bonheur, Paris, Ch. Delagrave, 1913

Sources

Amicale des Anciennes élèves de l’école normale d’institutrices du Nord, Madame Eidenschenk, Douai Imprimerie du CRDP, 1978

Bulletin semestriel Amicale des anciennes et anciens élèves de l’école normale d’institutrices de Douai, N° 114, janvier 2018

Bulletin semestriel Amicale des anciennes et anciens élèves de l’école normale d’institutrices de Douai, N° 97, mars 1994

Bulletin semestriel Amicale des anciennes et anciens élèves de l’école normale d’institutrices de Douai, N° 91, mars 1987

Bulletin semestriel Amicale des anciennes et anciens élèves de l’école normale d’institutrices de Douai, N° 86, mars 1982

Dossier de personnel « rectorat », 2T265 Archives départementale du Nord

Carte postale Douai (remettre références)

Registre matricule militaire, FR ANOM 2 RN 167 Archives de France