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Amélie Alphant-Marchand

Santé

1901-1997

paru le 03/05/2021 - Mise à jour le 21/04/2022 (11:22)

Amélie Alphant est née le 19 mars 1901 à Saint-Omer. Elle voit le jour au domicile de sa grand-mère maternelle Amélie Lagroua née Derbesse [1]. Sa mère Blanche, 31 ans, n’exerce pas de profession. Son père, Auguste Alphant, âgé de 46 ans, est absent. Il demeure à Paris dans le 11e arrondissement. Il rejoint immédiatement après la naissance d’Amélie sa famille car il est recensé au domicile d’Amélie Lagroua, 21 rue Louis Martel à Saint-Omer, alors qu’Amélie est âgée de 5 jours.

Originaire du Vaucluse, Auguste Alphant travaille au sein de l’administration des Postes et change de ville au grès de ses affectations. Un temps employé des Postes à Marseille, il s’inscrit à la Faculté de Droit de la cité phocéenne et obtient sa licence. Commis principal des Postes à Paris au moment de son mariage en 1899, il obtient sa mutation à Hazebrouck après la naissance de sa fille, puis est nommé receveur à Saint-Omer en 1905.

La mère d’Amélie Alphant, Blanche, est issue d’une famille de notable de Saint-Omer. Son grand-père, Anschaire Derbesse, fut conseiller municipal de cette ville. Blanche Lagroua n’a pas connu son père, Guillaume Lagroua, militaire décédé quelques mois après sa naissance. Elle fréquente le pensionnat de mademoiselle Lartizien à Saint-Omer et obtient en 1883 le certificat d’études primaires et en 1888 le brevet élémentaire.

Une enfance audomaroise et flamande perturbée par la Guerre

Comme sa mère, Amélie Alphant grandit à Saint-Omer. Elle garde de très bons souvenirs de son enfance audomaroise. Elle fréquente l’école communale qu’elle qualifie de « vétuste ». Pourtant, elle s’y plait beaucoup, s’y fait de fidèles amies et apprécie la pédagogie de son institutrice. Une forte complicité unit Amélie Alphant et son père qui lui apporte son constant soutien dans tout ce qu’elle entreprend. Ils font de nombreuses promenades au jardin public « parmi les plus beaux de la région ».

En 1911, Auguste Alphant est nommé receveur des Postes au bureau de Lille-Gare, rue de Tournai. Amélie Alphant poursuit alors ses études au Lycée Fénelon. Elle s’adapte difficilement à ce nouvel établissement qu’elle juge trop rigide. Elle regrette la simplicité de ses camarades de Saint-Omer.

Durant la Grande Guerre, Amélie Alphant se trouve séparée de son père. Sa mère et elle sont réfugiées à Nîmes. Auguste Alphant est alors retenu par ses fonctions à Lille. Sans nouvelle de son père, sachant seulement que leur appartement est complètement détruit le 13 octobre 1914 suite au siège de Lille et aux incendies provoqués par les bombardements, elle poursuit son cursus au vieux lycée de Nîmes. Bien intégrée auprès de ses camarades, Amélie Alphant y apprécie l’ambiance et l’environnement de travail.

L’apprentissage de la médecine

En juillet 1919, elle est lauréate d’un Baccalauréat Latin Langues Philosophie décerné par l’Université de Montpellier. La guerre achevée, la famille se retrouve à Lille où Amélie s’inscrit à la Faculté des Sciences en vue d’obtenir son certificat d’études physiques, chimiques et naturelles (dit PCN) lui permettant de poursuivre ses études à l’automne 1920 à la Faculté mixte de médecine et de pharmacie. De formation littéraire, Amélie Alphant excelle et se classe 5e sur 40, avec une mention bien.

Durant sa formation à la Faculté mixte de médecine et de pharmacie, si elle reconnait avoir subi des remarques de quelques « rombières » et des tentatives pour la décourager d’assister à certains cours « sous prétexte qu’elle était une jeune fille », Amélie Alphant n’en a pas tenu compte.

D’abord admise à l’externat en 1922, Amélie Alphant est ensuite lauréate en 1924 du concours de l’internat des hôpitaux de Lille et devient interne à l’Hôpital Saint-Sauveur. Si elle est la deuxième femme à réussir ce concours [2], elle est la première à terminer son internat à Lille.

Durant son cursus universitaire entre 1922 et 1927, elle travaille notamment auprès des professeurs Henri Gaudier (clinique chirurgicale), René Le Fort (clinique chirurgicale infantile), Georges Carrière (clinique médicale infantile), Oscar Lambret (clinique chirurgicale) ou encore Émile Delannoy. En, 1925, lors de son passage dans le service de clinique médicale de l’hôpital Saint-Sauveur dirigé par le professeur Georges Lemoine, elle cosigne avec le docteur Edmond Doumer probablement son premier article intitulé « Rhumatisme cardiaque évolutif et myocardie » paru dans La Gazette des hôpitaux. Parallèlement Amélie Alphant devient, à partir du 1er mars 1926, « aide préparateur » d’anatomie pathologique à la Faculté et travaille alors auprès du professeur Ferdinand Curtis.

Le 5 janvier 1928, Amélie Alphant soutient sa thèse de doctorat en médecine portant sur Les Infections pulmonaires aiguës de l’enfant traitées par la vaccinothérapie. Son directeur de thèse est le professeur de thérapeutique Jean Minet. Les autres membres du jury de soutenance sont le professeur d’anatomie pathologique et de pathologie générale Ferdinand Curtis et le professeur de physique médicale Emmanuel Doumer.

Un couple fusionnel

Durant sa formation, Amélie Alphant doit administrer une piqûre à un étudiant en médecine souffrant d’un problème de santé, Marcel Marchand. Suite à cette rencontre, les deux jeunes gens ne se quittent plus. Ils se fiancent et se marient quelques semaines après la soutenance de thèse d’Amélie Alphant le 14 avril 1928. L’année suivante, Marcel Marchand soutient sa thèse de doctorat en médecine, portant sur le diagnostic microscopique de la submersion vitale, présentée devant un jury présidé par le professeur de médecine légale et de médecine sociale Jules Leclercq. Cette même année, le couple s’installe à Roubaix et exerce au 91 rue Dammartin. Amélie Alphant-Marchand effectue des consultations de gynécologie et de médecine infantile tout en continuant ses fonctions de « préparateur » de cours et de conférences d’anatomie pathologique puis de pathologie générale à la Faculté mixte de médecine et de pharmacie de Lille. Quant à son époux, il est spécialiste en médecine légale et en neurologie et occupe parallèlement un poste de moniteur dans la même Faculté. A leur grand regret, le couple ne parviendra jamais à avoir d’enfant, sans que rien n'explique ce problème malgré leurs recherches. Ils ont alors reporté leur affection sur leurs neveux et petits cousins.

L’Institut de Médecine légale et de Médecine sociale de Lille

À partir de 1932, ils s’installent à Lille au 76 rue Jean Bart suivant les conseils du professeur Jules Leclercq, qui envisage la création d’un important service médico-légal dans son futur institut et qui souhaite les associer au projet. L’Institut de Médecine légale et de Médecine sociale de Lille est inauguré le 27 mai 1934 lors du XIXe Congrès de Médecine légale de langue française qui s’y tient. La responsabilité du service d’anatomie pathologique de l’Institut est confiée à Amélie Alphant-Marchand. L’importance accordée à ce service est une des spécificités de l’Institut lillois. A ses proches, elle explique ainsi son travail : « J’eus la satisfaction de créer dans le nouvel institut le service d’anatomie pathologique médico-légale. Il fallait au microscope étudier toutes les lésions soit dans les expertises criminelles, soit dans les expertises de droit commun, accidents de la route, du travail, etc. ». Le laboratoire d’anatomie pathologique que dirige Amélie Alphant-Marchand est notamment indispensable pour compléter les autopsies médico-légales en assurant tous les diagnostics histologiques et analyses toxicologiques nécessaires. Ainsi, Amélie Alphant-Marchand est une pierre angulaire pour les travaux de ses collègues puisqu’elle effectue des analyses et des examens nécessaires à l’avancée de leurs travaux.

Les congrès de médecine légale sont autant d’occasion pour Amélie Alphant-Marchand et ses collègues de l’Institut de Médecine légale et de Médecine sociale de Lille de proposer des communications présentant le fruit de leurs recherches. En 1934, elle présente en collaboration avec le docteur Louis Gernez une communication remarquée « Étude histologique de l'action des humeurs de la femme enceinte sur la glande génitale mâle du jeune lapin. Est-il possible de diagnostiquer pendant la grossesse le sexe du fœtus par les méthodes hormonales ? ». Durant sa carrière, Amélie Alphant-Marchand multiplie les communications, articles, cours et interventions, parfois seule ou en collaboration avec d’autres collègues de la Faculté mixte de médecine et de pharmacie. Elle collabore très fréquemment avec son époux, Marcel Marchand.

Pendant les années 1930, avec ses collègues, Amélie Alphant-Marchand s’intéresse tout particulièrement aux lésions pulmonaires notamment en cas de submersion. En 1936, sa carrière évolue. Elle devient assistante de médecine légale et sociale à l’Institut de Médecine légale et de Médecine sociale de Lille. Parallèlement, elle continue les consultations en pédiatrie et gynécologie à son domicile.

La Seconde Guerre mondiale vient perturber le fonctionnement de l’Institut de Médecine légale et de Médecine sociale de Lille. En mai 1940, Amélie Alphant-Marchand évacue Lille pour Grignan dans la Drôme. Pendant ce temps, Marcel Marchand est affecté à la 2e Armée d’Amiens au sein du laboratoire Z n°342. Démobilisé le 20 août 1940, il rejoint son épouse à Valence.

Durant l’Occupation, l’Institut de Médecine légale et de Médecine sociale de Lille est entièrement occupé par les Allemands. Il faut intervenir pour que soit restitué aux médecins l’usage du rez-de-chaussée de l’aile gauche. Les services de l’Institut s’y réinstallent et le laboratoire d’anatomie pathologique est reconstitué en décembre 1941 suite au retour d’Amélie Alphant-Marchand à Lille. En mai 1944, l’équipe de l’Institut de Médecine légale et de Médecine sociale de Lille, anticipant le rapprochement d’opérations militaires actives et craignant de nouvelles réquisitions allemandes, mettent à l’abris rapidement le matériel du laboratoire d’anatomie pathologique susceptible d’intéresser les Allemands, au domicile des époux Marchand-Alphant, 76 rue Jean Bart. La semaine suivante, l’ensemble du matériel de l’Institut est installé dans les locaux de la Faculté mixte de Médecine et de Pharmacie. L’Institut de Médecine légale et de Médecine sociale est touché par les bombardements des 10 mai et 20 juin 1944. Ce second bombardement a détruit les deux étages supérieurs de l’aile gauche de l’Institut.

Participation au développement d'un nouveau champ disciplinaire : la médecine du travail

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’Institut de Médecine légale et de Médecine sociale de Lille renforce ses compétences et son offre de services en matière de médecine du travail. En juin 1942, l’Association de la médecine du travail et d’hygiène industrielle de la région du Nord est créée. Cette société d’études, service propre de l’Institut, concerne la prévention des accidents et des maladies professionnelles et l’hygiène industrielle. Elle propose au sein de l’Institut et de la Faculté mixte de médecine et de pharmacie des conférences d’information destinées aux médecins, médecins du travail, inspecteurs du travail, assistantes sociales, conseillères sociales du travail, groupements patronaux, d’ouvriers et de cadres. Si Marcel Marchand est très fortement impliqué dans cette association, Amélie Alphant-Marchand y propose également régulièrement des conférences.

En 1946, une chaire de médecine du travail est créée à la Faculté mixte de médecine et de pharmacie de Lille. Elle est alors occupée par le professeur Jules Leclercq. L’année suivante, c’est un poste de chef de travaux de médecine du travail qui est créé. Marcel Marchand est nommé à ce poste jusqu’au 1er janvier 1950, date à laquelle il est nommé agrégé de médecine légale. Son épouse, Amélie Alphant-Marchand lui succède en tant que « chef de travaux délégué » en médecine du travail. C’est un tournant dans sa carrière. Débute alors une fructueuse collaboration entre celle-ci et le professeur Louis Christiaens, qui vient de succéder au professeur Jules Leclercq.

En 1947, en reconnaissance de son travail effectué à la direction du laboratoire d’anatomie pathologique, Amélie Alphant-Marchand est élevée au grade d’« officier » de l’Instruction Publique.

Durant cette période, le couple Marchand-Alphant travaille fréquemment ensemble. Ils participent souvent aux mêmes congrès et autres réunions professionnelles tant dans la métropole lilloise qu’à l’étranger. Les travaux d’Amélie Alphant-Marchand sont bien souvent orientés vers une problématique sanitaire très prégnante alors pour les mineurs de la région : la silicose. Parallèlement Marcel Marchand poursuit sa double carrière au sein de l’Inspection du travail et de la main d’œuvre et au sein de la Faculté mixte de médecine et de pharmacie de Lille où il devient en 1960 professeur.

Amélie Alphant-Marchand demande à faire valoir ses droits à la retraite le 1er octobre 1964. Marcel Marchand poursuit sa carrière universitaire encore quelques années. Il est nommé professeur honoraire en 1972. Suite à une chute, il décède subitement le 23 août 1984. Amélie Alphant-Marchand fait alors le choix de quitter Lille et de s’installer dans une maison de retraite à Le Chesnay (Yvelines). Elle y décède le 2 octobre 1997.

Soucieuse de la place des femmes dans la société, Amélie Alphant-Marchand est membre du Soroptimist Club de Lille, qui « engage des actions pour faire bouger les lignes, tomber les stéréotypes, améliorer la vie des femmes ». Elle participe régulièrement aux réunions organisées par ce mouvement en compagnie notamment de son amie, Jeanne Sales-Decoulx, également médecin. Sur la place des femmes, Amélie Alphant-Marchand déclare notamment :

« Je crois, en ce qui concerne les professions libérales, il faut pour les femmes faire un choix selon son goût, sans s’occuper des influences et des conseils, avoir aussi suffisamment conscience de sa valeur et de ce que l’on peut faire. Beaucoup de femmes médecins se contentent des postes administratifs, médecine scolaire, sécurité sociale, etc. Tout cela parce qu’on a dit pendant longtemps et surtout pendant ce détestable XIXe siècle que les femmes ne pouvaient pas faire ce que faisaient les hommes ! L’histoire des premières femmes médecins en France est extraordinaire et nous en dit long ! ».

Notice rédigée par Nathalie Barré-Lemaire.

Notes

[1] Amélie Alphant-Marchand est la cousine germaine de Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé (1916-1994), gynécologue, fondatrice et présidente de La Maternité heureuse (1956-1967).

[2] La première femme lauréate du concours de l’internat des hôpitaux de Lille est Gabrielle Cantrainne. Fille de cultivateurs, née en 1889 à Robecq, elle effectue ses études secondaires à Saint-Omer. En 1906, elle obtient un baccalauréat en langues étrangères auprès de la Faculté des lettres de Lille. Malgré sa réussite au concours de l’internat des hôpitaux de Lille en 1911, elle ne soutiendra jamais sa thèse de doctorat de médecine.

Sources

 

Archives départementales du Nord
Dossier personnel de la Faculté mixte de médecine et de pharmacie de Lille - 3657W11.
Dossier d’étudiante de la Faculté mixte de médecine et de pharmacie de Lille – 2894W63.
Album photographique de l’Université de Lille, vers 1937 – 85Fi.

Université de Lille, BU Santé – Learning Center
Thèse de doctorat de médecine - B 55.375-1928-13.

BIU Santé, Paris
Photographies de l'Hôpital Saint-Sauveur de Lille - 45/101.

gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Publications numérisées : Candide,  Guide Rosenwald, Quatre-vingtième congrès national des sociétés savantes, Lille, 31 mai - 4 juin 1955 : ordre du jour des séances ( Ministère de l'Éducation nationale. Comité des travaux historiques et scientifiques, 1955).

Bibliothèque municipale de Lille
Rue de Tournai à Lille en 1914 - CP 118.

L'auteure remercie vivement Isabelle Korda pour son aide précieuse.