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Louise de Bettignies

Sciences humaines

1880-1918

paru le 10/03/2023 - Mise à jour le 24/04/2023 (14:33)

Une jeune fille pas tout à fait comme les autres…

 

                Louise Marie Henriette Jeanne de Bettignies est née à Saint-Amand-les-Eaux le 15 juillet 1880. Sa famille est originaire de Tournai. Elle est l’avant-dernière des neuf enfants de Henri-Maximilien de Bettignies et Julienne Mabille de Poncheville. Son père était directeur de fabrique de porcelaine et céramique jusqu’à ce qu’un revers de fortune l’oblige à vendre la fabrique familiale et à devenir représentant de commerce. La famille déménage à Lille en 1895 au 166 rue d’Isly.

Elle fait ses études secondaires à Valenciennes chez les sœurs du Sacré-Cœur. Très jeune, elle fait déjà preuve d’un caractère affirmé et indépendant. Selon son cousin André Mabille de Poncheville : 

Louise était blonde, frêle d'apparence, avec un visage mobile et des yeux perçants qui semblaient fureter de toutes parts. Elle ne tenait pas en place (1).

En 1898, à dix-huit ans, elle s’apprête à passer son brevet supérieur. Seulement, elle est en avance d’un an et l’administration refuse de faire une exception. Louise de Bettignies décide alors de poursuivre ses études en Angleterre et entre peu après à l’université d’Oxford. Elle y mène une vie relativement indépendante qui convient à son caractère. Mais en 1903, au décès de son père, elle décide de revenir étudier en France et s’inscrit à la Faculté des Lettres de Lille. Elle y obtient son certificat d’anglais en 1906.

A cette période, elle rejoint la ligue patriotique et catholique des Françaises, association créée pour soutenir les Catholiques ralliés à la République. Très active, elle distribue la revue aux adhérentes, recueille les abonnements, tient à jour les fiches des revues. Cependant elle doit également songer à gagner sa vie. Munie de ses précieux diplômes, Louise de Bettignies trouve un emploi de préceptrice. Sa parfaite maîtrise de l’anglais, de l’italien et de l’allemand ainsi que ses notions de russe, tchèque et espagnol lui permettent de se faire remarquer par des employeurs fortunés. En effet, les préceptrices françaises sont très appréciées et bien payées à l’étranger. Elle entre rapidement au service du comte Visconti de Modrone à Milan puis, en 1911, à celui du comte Mikiewsky en Galicie. Le prince Carl Schwarzenberg, puis la princesse Elvira de Bavière s’attachent ses services. Ses différents postes lui permettent alors de beaucoup voyager et de fréquenter la haute aristocratie européenne. On lui propose même d’éduquer les enfants de l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône impérial d’Autriche-Hongrie mais elle refuse et rentre en France.

Un engagement patriotique dès le début de la guerre

Au début de 1914, elle est opérée de l’appendicite et retourne vivre chez sa mère à Lille. Il semble qu’elle ait songé alors à entrer en religion chez les Carmélites. La déclaration de guerre la surprend alors qu’elle séjourne dans une villa à Wissant. La percée allemande est fulgurante et Lille est bientôt soumise à des bombardements. Louise de Bettignies regagne Lille et vit rue d’Isly avec sa sœur Germaine. Elles sont toutes les deux recrutées comme infirmières et apportent leur aide dans les quartiers éprouvés par les flammes. Louise soigne les blessés à l’hôpital du parvis Sainte-Catherine. Elle utilise ses compétences linguistiques afin d’écrire les lettres des blessés allemands à leur famille. Sous le feu ennemi, elle n’hésite pas à ravitailler les défenseurs de la ville en vivres et munitions. Néanmoins Lille tombe. La ville sera occupée pendant toute la durée de la guerre.

Pour Louise de Bettignies, impossible de rester impuissante alors que son pays continue de se battre et que sa ville est occupée par l’ennemi. D’autant que l’occupation va s’avérer particulièrement éprouvante pour les Lillois. La résistance commence à s’organiser. La zone occupée est complètement coupée du reste de la France. Les familles restent sans nouvelles des hommes sur le front et des proches qui ont fui l’avancée allemande. Des jeunes femmes sont alors recrutées pour trouver des voies de passage afin d’acheminer du courrier en zone libre. Les messages sont alors cachés sous les jupes pour éviter les fouilles. La sœur de Louise, Germaine, accepte de s’y prêter et passe en zone libre pour y rester. Louise de Bettignies reste seule à Lille et fait à son tour passer en douce du courrier à travers les lignes allemandes. A la gare de Péronne, elle manque d’être arrêtée et ne doit son salut qu’à la rencontre inopinée du prince Rupprecht de Bavière qu’elle avait connu lors de ses voyages. Ils avaient ensemble disputé plusieurs parties d’échec ! Grâce à l’intervention du prince, elle continue son voyage à travers la Belgique, les Pays-Bas et l’Angleterre. Le seul moyen de rejoindre la France est alors de contourner le front en traversant la Manche. A son arrivée en Grande-Bretagne, elle est interrogée par les services de renseignements qui sont impressionnés par son courage, ses compétences linguistiques et son patriotisme. Ils lui proposent alors d’entrer à leur service, mais Louise de Bettignies refuse. A l’époque, l’image de l’espionne est proche de celle de la prostituée. Il n’est donc pas étonnant qu’elle ait refusé. De plus, elle préférait travailler pour son propre pays. A son arrivée en France, elle est également contactée par les services secrets français. Elle peut leur livrer des informations récentes sur la zone occupée. Cependant les services français travaillent peu avec des femmes. L’espionnage n’est pas considéré comme une activité féminine respectable dans l’imaginaire français. De plus, les services français n’offrent aucune formation et n’avancent aucun fonds. Les frais de déplacement sont remboursés sur factures ! Dans ces conditions, Louise de Bettignies réfléchit à accepter la proposition britannique. Ce serait sur le chemin du retour vers Lille qu’elle aurait accepté de travailler pour les services secrets britanniques, en accord avec les services secrets français. Elle est initiée en quelques jours aux rudiments de l’espionnage à Folkestone, puis rentre à Lille.

Le réseau Alice

C’est sous le pseudonyme d’Alice Dubois, employée d'une société d'import-export en France libre qu’elle monte avec son amie Léonie Vanhoutte, dite Charlotte Lameron, un vaste réseau de renseignements dans le Nord de la France. Le réseau Alice (ou Ramble pour les Britanniques) est né.

Louis de Bettignies prend tous les risques pour livrer des renseignements de qualité aux Alliés. Elle n’hésite pas à se travestir en officier allemand pour aller d’Armentières à Saint-Omer. Au total, le réseau Alice a compté jusqu’à une centaine d’agents et de collaborateurs. Même s’il est difficile d’apprécier exactement l’étendue de sa contribution au vu du secret qui entourait naturellement son action, le réseau Alice semble avoir été le réseau le plus étendu et le plus efficace. Il aurait permis de sauver un millier de vies britanniques. Le réseau centralise les informations sur les opérations allemandes, organise des passages de frontières d’hommes, d’informations, de courriers et de la presse clandestine. Louise de Bettignies voyage elle-même jusqu’en Angleterre pour y apporter des informations en les cachant astucieusement dans les ourlets de son sac à main, de ses vêtements ou roulés autour d’une baleine de corset ou bien encore dans ses cheveux. Le réseau Alice est même parvenu à communiquer aux Alliés le jour et l’heure du passage de l’empereur allemand à Lille, même si le bombardement du train impérial a finalement échoué. Ses informations permettent de prévoir la future attaque allemande sur Verdun que le haut-commandement français ne prendra pas au sérieux.

 Malheureusement, Louise de Bettignies est arrêtée par les Allemands lors d’un contrôle près de Tournai et emprisonnée à Bruxelles le 20 octobre 1915. Elle y subit plusieurs interrogatoires violents par des officiers allemands qui lui contusionnent les côtes et lui cassent plusieurs dents. Malgré les confrontations à plusieurs témoins, elle garde le silence et ne dénonce personne. Son procès se tient le 16 mars 1916 et elle est condamnée à mort. Sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité. Alors qu’elle est transférée vers la forteresse de Sieburg en Allemagne, le maréchal Joffre la cite à l’ordre de l’armée pour son action (20 avril 1916).

Emprisonnée en Allemagne

Dans ce bagne pour femme, la vie quotidienne est austère, la nourriture insuffisante et tout le superflu doit être acheminé de l’extérieur par les prisonnières à leurs propres frais. Les journées passées dans la faim et le froid ne sont égayées que par les colis et les lettres des familles des prisonnières. Pourtant, Louise de Bettignies ne se résigne pas. Selon la princesse de Croÿ qui la côtoie à cette époque :

  Maintes fois elle fut punie pour insubordination ou pour avoir fomenté des révoltes ».

En effet, Louise de Bettignies découvre que les Allemands font fabriquer aux prisonnières des têtes de grenades qui seront utilisées contre les soldats français. La convention de La Haye interdit l’utilisation des prisonniers pour la fabrication d’armes contre leur propre patrie, Louise le sait et le fait savoir. Elle refuse de travailler et entraîne les autres prisonnières dans sa révolte. Elle est alors envoyée au cachot pendant 48 heures sans lainage ni couverture, ni même la moindre nourriture. Le cachot est une cage glaciale de 1 mètre 40 de large et de long (toilettes inclues !). Elle n’a que des coussins de paille pour se reposer et aucune vue sur l’extérieur puisque des volets de fer interdisent la moindre lumière.

Malgré ce traitement, Louise de Bettignies ne baisse pas les bras et la révolte continue. Les Allemands sont obligés de renoncer. Louise voit ses avantages supprimés. Elle ne recevra plus de lettres ni de colis. Elle se refuse toujours à travailler pour l’ennemi malgré les menaces de suppression de nourriture. Si son moral est encore fort, sa santé chancèle.

Début 1918, son état se dégrade gravement. Dans un premier temps, elle ne reçoit que peu de soins. Mais, son état s’aggravant, elle est transférée tardivement à Cologne pour y être opérée dans des conditions sanitaires désastreuses. Souffrant le martyr, elle en vient à regretter de ne pas avoir été fusillée. Elle meurt le 27 septembre 1918, trop tôt pour voir la victoire à laquelle elle avait contribué.

Héroïne nationale

En 1920, sa dépouille est rapatriée. Le 16 mars de la même année, lors de funérailles solennelles à Lille, elle reçoit la Légion d’Honneur, la croix de guerre et la médaille militaire anglaise. Elle est faite officier de l’ordre de l’Empire britannique. Elle est inhumée à Saint-Amand-les-Eaux.

Depuis la fin de la guerre, son souvenir est entretenu dans le Nord. Un monument sculpté par Real del Sarte a été érigé en sa mémoire boulevard Carnot à l'entrée de Lille en novembre 1927. Reconnue héroïne nationale, de nombreuses rues et écoles portent son nom. Elle a inspiré cinéastes et romanciers.

 

Notice rédigée par Sarah Lagache

 

L'auteure remercie vivement la famille de Louise de Bettignies pour l'aide apportée à la rédaction de cette biographie

Notes:

[1] André Mabille de Poncheville (23 mai 1886-20 mai 1969), La Voix du Nord du 30 septembre 1967.

Sources:

Acte de naissance, Archives départementales du Nord (1 Mi EC 526 R 002)

Dossier étudiant de la Faculté des Lettres de Lille, Archives départementales du Nord (2640W23)

Dossier de la légion d’honneur, Archives nationales (LH//227/34)

Bibliographie:

Chantal Antier, Louise de Bettignies : espionne et héroïne de la Grande guerre, 1880-1918, Paris, Tallandier, coll. « Biographies », 2013